Le marin de Gibraltar, Les petits chevaux de Tarquinia, les deux seuls romans de Marguerite Duras que j’ai lus ces dernières années m’ont fait aimer l’auteure et son style. La pesanteur de son écriture m’émeut et m’embarque.
Alors, quand j’ai commencé Moderato Cantabile, j’avais hâte que le schéma se reproduise. Pourtant, ce livre m’a prise de court tant il est presque un exercice de style à lui seul.
Au pays de : « Un meurtre a lieu dans un café au-dessus duquel Anne Desbaresdes accompagne son fils à sa leçon de piano – il rechigne à jouer la sonatine de Diabelli et s'obstine à ignorer la signification de moderato cantabile. Dans ce café, elle rencontre un homme – il lui dira s'appeler Chauvin – qu'elle interroge chaque jour, lors de fins d'après-midi qui s'étirent, à propos du crime passionnel, dont ils ne savent rien ni l'un ni l’autre »*.
L’ivresse
À l’image d’Anne et de M. Chauvin, qui se retrouvent chaque jour autour de verres de vin, Marguerite Duras nous rend fébriles. Quand comprendra-t-on l’histoire ? Les dialogues ? Le passé des personnages ? Jamais.
L’auteure offre aux lecteurs une non-histoire, à mi-chemin entre dialogue de sourds et consultation psychiatrique. Elle nous transporte - nous, lecteurs - dans la réalité même de cette non-histoire. Elle nous rend ivres de savoir et nous mène, à l’instar de ses personnages, à une folie aussi destructrice que salvatrice.
Ce roman est une bataille. Marguerite Duras ne raconte pas. Elle écrit, mais ne dit pas. Elle force le lecteur, le pousse. Elle l’entraîne dans un labyrinthe de mots où l’abandon est la seule option.
Elle ne nous force pas à lire, elle nous force à comprendre l’incompréhensible.
L’esthétisme
Et le livre est beau et élégant. Chaque mot est soigné et fait partie d’un ballet surréaliste.
C’est la première fois - me semble-t-il - que je lis un livre où l’histoire n’est connue que des personnages, et encore.
Livrée à moi-même, JE décide.
Anne et Chauvin sont-ils amants, l’étaient-ils avant ? Cherchent-ils à comprendre dans ce meurtre passionnel leur propre histoire ? Livrée à moi-même, j’ai pourtant une seule indication de lecture : moderato cantabile. Modéré et chantant.
Marguerite Duras est tout ce que j’aimais d’elle dans ses autres livres : elle fait peser le sérieux de la vie dans la légèreté de vivre.
La phrase : « […] il lui a poussé au bout des bras, un destin. »
Le tip : Dans l’Édition de minuit, le texte est suivi des critiques littéraires de Moderato Cantabile de l’époque (1958). L’occasion de lire des professionnels reconnus parler d’un livre à la fois ombre et lumière : un autre exercice de style. Un bijou.
L’itinéraire : Marguerite Duras, Moderato Cantabile, Éditions de Minuit. 1958. 114 p.
* Source : Wikipédia