Pourquoi le lire ?
Vivre, penser, regarder n’est pas un roman. Si le titre aurait pu s’y prêter, rien n’en est plus éloigné. Ce livre regroupe des textes originellement à destination de revues littéraires, ou revues plus spécialisées, et des extraits de conférences écrits par Siri Hustvedt.
Les essais qu’elle propose sont parfois intimes, toujours issus d’une réflexion personnelle, parfois recherches et parfois constats. Ils s’appuient systématiquement sur une lourde et passionnante bibliographie. L’auteure recourt en effet à de très nombreuses disciplines (philosophie, neurosciences, psychanalyse, psychologie, neurologie, littérature) dans la mesure où « aucun modèle théorique ne peut contenir la réalité de la complexité humaine. »
Dans cet ouvrage exigeant de presque 500 pages, Siri Hustvedt offre une occasion parfaite de rester en mouvement, de continuer à réfléchir ou d’entamer une démarche de réflexion globale souvent évacuée de nos pensées quotidiennes sur l’individu, objet et sujet.
On en apprend, des choses ?
Les essais subjectifs de Siri Hustvedt traitent de sujets excessivement variés, regroupés en trois thèmes : vivre, penser, et regarder. Ils interrogent pêle-mêle l’auteure, entre autres sur ses migraines, son rapport au sommeil (vivre, la partie la plus accessible) ; le roman, la question du vrai dans l’écriture, le langage (penser) ; son rapport personnel à certains artistes, et plus largement l’art, la question de la perception, les images (regarder)…
Dans Vivre, penser, regarder, tout est réflexion et tout offre donc matière à apprendre. Les essais sont majoritairement bien calibrés, entre anecdotes personnelles de l’auteure pour étayer, illustrer ou amorcer certains propos et les recherches, arguments et théories d’auteurs spécialistes.
On en apprend donc, des choses, à condition d’être volontaire, réceptif et d’avoir du temps pour réellement lire. Si les sujets abordés ne sont pas, pour la plupart, très ardus, les réflexions de l’écrivaine, étayées par les auteurs et sources qu’elle invoque, peuvent difficilement être lues à la volée. Ces réflexions rappelleront d’ailleurs probablement à certains - pour leur plus grand plaisir ou non -, de proches ou lointains cours universitaires sur la sémiotique du langage et des images ou sur l’histoire de l’art…
Que comprendre ?
« Nul ne peut réellement échapper à sa subjectivité. »
Dans cet ouvrage, il s’agit moins de comprendre que de dialoguer. Siri Hustvedt traite avant tout de l’être humain, du Moi, du Je. Elle s’interroge sur les individus et leur rapport au monde, leurs relations à autrui (la rencontre de deux êtres crée-t-elle une troisième réalité ?). Et, adepte de l’expérience comme fondement analytique, se prenant comme cobaye, tantôt en tant que fille, que femme, que mère, qu’écrivain, Siri Hustvedt (s’) analyse et décortique.
Malgré la volonté affichée de Siri Hustvedt d’employer un langage compréhensible par tous, tout n’est pas systématiquement simple à appréhender. Les sujets traités nécessitent parfois une véritable connaissance « scientifique », ou iconique.
L’édition pourrait alors gagner en intelligibilité en proposant des documents sur lesquels s’appuyer (notamment, les nombreuses œuvres auxquelles l’auteure fait référence). Néanmoins, et dès lors que l’on s’autorise à sélectionner les essais ou les passages à lire, Siri Hustvedt propose à son lecteur une base de réflexion et de dialogue sur l’être humain, ce qu’il vit, à quoi il pense et ce qu’il regarde.
Garder en mémoire : « La lecture se passe dans le temps humain, dans le temps du corps, et elle participe du rythme du corps, des battements du coeur, de la respiration, des mouvements de nos yeux et de nos doigts tournant les pages, mais nous ne prêtons à rien de tout cela une attention particulière. […] Le texte se trouve à la fois au-dehors et au-dedans de moi. Si ma lecture est critique, mes propres mots interviendront. J’interrogerai, je douterai, je m’étonnerai, mais je ne peux maintenir en même temps ces deux attitudes. Soit je lis le livre, soit je fais une pause pour y réfléchir. La lecture est intersubjective : l’écrivain est absent, mais ses notes deviennent des éléments de mon dialogue intérieur. »
L’itinéraire : Siri Hustvedt, Vivre, penser, regarder, Éditions Actes Sud, Coll. Babel, 2013. 512p.