Au pays de : « New York, au début du XXe siècle. Francie Nolan a neuf ans, un optimisme infernal et un rêve : écrire. Sur sa mère, fée du quotidien ; son père, héros ambigu ; son frère, un roublard qui court les rues ; sur ses tantes, la douce Evy et la pétulante Sissy, qui collectionne les “John” ; sur Williamsburg ; son quartier. »
Le témoignage
« Tout le secret est dans la lecture, l’écriture. »
Le lys de Brooklyn est une histoire de vie(s) comme on en lit rarement. Une histoire qui, lorsqu’elle est lue, amène à penser qu’il y en a peu, finalement, qui lui ressemblent.
Le livre de Betty Smith embrasse six ans de la vie d’un quartier, d’une famille, d’une enfant, de New York et de l’Amérique.
La misère du quartier se sent dans l’odeur du café et du pain de seconde main, la pudeur d’une famille se lit dans l’acharnement de parents à vouloir, coûte que coûte, offrir une belle éducation à leurs enfants, New York et l’Amérique s’observent dans les combats des syndicats, les paroles entendues à l’abri d’une porte, la frayeur des mères à l’approche de la Première Guerre mondiale.
Lire Le lys de Brooklyn, c’est entrer par la petite porte, vivre dans les coulisses et être le témoin d’une société qui change : des chevaux aux automobiles, du gaz à l’électricité, de la tirelire à l’assurance vie, d’une enfance pauvre et heureuse à une adolescence de travail.
Parce qu’à cette époque à seize ans, un adolescent a le droit de travailler, et un adolescent pauvre en a l’obligation morale. Alors, quand à treize ans on en fait seize, comme Francie et son frère, le travail est précoce et le collège lointain.
La connivence
« Dis la vérité et écris l’histoire. »
Le collège est lointain, mais les conseils donnés au creux d’une oreille, à l’école primaire demeurent. Francie ment pour rendre le quotidien plus heureux, plus extraordinaire, plus flamboyant peut-être. Mais elle ne veut plus mentir et subir cette honte soudaine qui la submerge. Elle écrira alors. Elle rêvera de livres, de bibliothèques et développera son don. Elle sera confrontée très tôt à l’incompréhension du lecteur qui ne souhaite que du tiède. Elle se posera la question de la beauté, de la laideur, de la vérité et de la fiction. De la fiction mensonge. Doit-on récompenser une fiction qui ment ? Qu’est-ce qu’écrire, alors ?
Betty Smith a le mot sobre et perspicace. Chaque réflexion éclairée du personnage principal ne peut que résonner chez le lecteur, tantôt attendri, tantôt étonné, tantôt impressionné par les questionnements si pleins de sens et clairvoyants d’une enfant.
À croire que ne rien avoir laisse le temps d’observer et qu’observer ouvre au monde et déploie l’esprit critique.
La finesse
« Mon Dieu, faites que je sois quelque chose, à chaque instant de chacune des heures de ma vie [...] ».
Avec Francie Nolan, la misère n’est pas sale. Ses talents d’écrivain lui confèrent le don de tout transformer. Avec Betty Smith aussi tout se transforme, la narration par exemple oblige parfois le lecteur à s’interroger. Hétérodiégiétique ? Extradiégétique ? Peu importe finalement, cela donnerait presque une dimension mystérieuse au roman…
Le lys de Brooklyn est une belle histoire, une histoire de bout en bout, précise, complète, où tous les personnages sont travaillés, et où rien n’est écrit par hasard.
L’on en sort comme l’on se tire d’une rêverie, sans questions, sans difficulté, avec ce petit quelque chose en plus, cette impression d’en avoir rencontré, du monde.
La phrase : « Elle rangea auprès des autres cette pépite de connaissance, auprès de celles qu’elle recueillait précieusement à chaque instant. »
Le tip : Les 690 pages se lisent sans y penser !
L’itinéraire : Betty Smith, Le lys de Brooklyn, Éditions 10-18, 1943 (1946 pour la traduction française). 696 p.