« Est-ce la force de ton désir qui te condamne à perdre ? »
Est-ce l’histoire ou la manière dont elle est racontée, à la deuxième personne du singulier, qui m’attrape et me précipite au fond du roman ? Est-ce l’hyperactivité et la dépression qui m’escortent ? Est-ce le ton choisi par Catherine Cusset, aussi froid et piquant que tendre et aimant qui m’appelle et me retient ?
Au pays de : « L’autre qu’on adorait fait revivre Thomas, un homme d’une vitalité exubérante qui fut l’amant, puis le proche ami de la narratrice, et qui s’est suicidé à trente-neuf ans aux États-Unis. »
L’immersion
« En janvier, tu as dix-huit ans. »
Au début, c’est un tu que l’on rencontre. Le tu de toi, de il, de lui, de nous, de l’universalité d’un homme, d’une vie. Tu as dix-huit ans.
Elle te raconte, elle qu’on ne connait pas et qui s’adresse à toi, avec cette tendresse et cette complicité qui caractérisent les amis de longue date qui savent autant les peines, les joies, les qualités, les défauts.
Ce tu nous met à distance, éloigne par la complicité induite. Ce tu pourtant partage, et nous rapproche par ce droit que l’on a de lire.
Lire un texte, une lettre, un témoignage. De toi, ce tu, qui vit, qui meurt. Qui subit sa vie, puis sa maladie, puis sa vie, encore.
L’espoir
« Sur la pente ascendante. »
Et pour ce tu qui lutte, j’oublie tout, y compris la 4e de couverture qui annonce d’emblée la fin d’une histoire. Je garde seulement le sujet, objet du texte et des phrases. Ce sujet unique. Seul à jouer et seul à perdre. Et j’espère, j’espère pour lui et pour l’histoire que tout ira bien. Que cette maladie découverte sera apprivoisée, gérée, vaincue par ce tu qui lutte.
Il est trop présent pour ne pas me rendre optimiste.
Mais elle, Catherine Cusset est de plus en plus sombre. Elle, comme nous, avons peur de la chute. Elle rythme et raconte. Sa mécanique sujet-verbe-complément marque et emporte tout. Tout tourne autour du toi, nous aussi, tourbillonnons, obsédés.
La colère
« Tu relis Bossuet. Tu soulignes certaines phrases. »
Et quand le tu se perd, noyé par une maladie difficile à apprivoiser, il fait naître la colère. Pourquoi ne remontes-tu pas la pente ? Pourquoi ne te soignes-tu pas ? Tu es oppressant, insupportable. Ça l’est tout autant d’assister à la destruction d’un être. De ne presque plus comprendre.
Le tu reprend alors toute sa place, il nous a distancés et nous rattrape, nous, Big Brother d’un naufrage.
La phrase : « Que reste-t-il de toi derrière la maladie […] ? »
Le tip : Si comme moi, vous n’avez pas lu Marcel Proust, ce livre sera une belle occasion de le découvrir.
L’itinéraire : Catherine Cusset, L’autre qu’on adorait, Éd. Gallimard, 2016. 304 pages.