Au pays de : « L’Algérie dont est originaire sa famille n’a longtemps été pour Naïma qu’une toile de fond sans grand intérêt. Pourtant, dans une société française traversée par les questions identitaires, tout semble vouloir la renvoyer à ses origines. Mais quel lien pourrait-elle avoir avec une histoire familiale qui jamais ne lui a été racontée ? »
Dans L’art de perdre, « saga familiale » se déroulant sur trois générations, Alice Zeniter fait découvrir à ses lecteurs bien plus que l’histoire d’un pays, l’Algérie. Par ses mots précis, ses recherches fouillées, ses descriptions sensibles sans jamais être clichées, l’auteure ouvre la porte à une culture, une langue, des histoires d’hommes et de femmes, et un héritage pluriel longtemps sous-documentés, sous-estimés, non racontés.
La curiosité
« Le ciel est bas et pourtant, il est distant. Il ne se mêle pas aux paysages. »
Alice Zeniter me capte autant par le titre de son roman que par la promesse qui m’est faite, celle de comprendre enfin l’histoire moderne de l’Algérie, de saisir peut-être, un peu mieux, les destins de ces Français algériens, de leurs enfants et petits-enfants.
« Saisir un peu mieux » ? Non, l’auteure me permet surtout de découvrir enfin l’histoire que je ne connais pas, que je n’ai jamais comprise, faute de n’avoir jamais cherché à comprendre, comme si les pages des livres d’histoire-géographie avaient vu tristement juste : ce qui n’y figure pas n’est pas Histoire. Puis, le temps passe. Et les interrogations qui ne viennent jamais.
Le roman L’art de perdre est donc venu à moi, m’a rappelé mon ignorance, s’est proposé de la combler par une lecture chargée de sens, tout en pudeur, mais sans fausse politesse.
La découverte
« C’est vrai que cette histoire manque de chameaux. »
L’art de perdre, c’est l’histoire d’Ali, propriétaire terrien et harki, chassé d’Algérie par le FLN, débarqué en France avec toute sa famille. Traître en Algérie, il est citoyen de seconde zone en France. C’est l’histoire d’un de ses fils, Hamid pour qui l’Algérie n’est plus qu’un vague souvenir, et l’arabe une langue qui enferme dans les cuisines des HLM. Il offrira à ses filles l’image d’une Algérie dangereuse et interdite. C’est enfin l’histoire de Naïma — l’une des filles d’Hamid —, qui découvrira malgré elle le pays de son grand-père et qui compilera une documentation massive pour comprendre, enfin, l’histoire de sa terre, enfouie autant sous les silences que les tabous de ses aînés.
C’est aux tabous anciens que ce roman se confronte. En proposant une lecture éclairée d’une histoire tue parce que complexe, Alice Zeniter vise juste. Elle fait parler en silence ces Français étrangers qui n’ont jamais eu droit à la parole. Elle les délivre, dans l’ombre des maisons, dans la chaleur des cuisines, de leur honte, de leur incompréhension, et de leurs souvenirs trop lourds d’une terre où ils ne seront plus qu’invités.
L’art de perdre, portrait en plein et en creux des générations de déracinés, d’enracinés et de sans racines est un texte actuel, à l’origine lointaine et au présent ancré dans toutes les mémoires.
Le point d’orgue final d’Alice Zeniter m’accroche définitivement. Je ne savais rien, je n’ai donc rien perdu, mais j’ai désormais une véritable envie d’apprendre, et de retrouver.
La phrase : « Ce qu’on ne transmet pas, ça se perd, c’est tout. Tu viens d’ici, mais ce n’est pas chez toi. »
Le tip : La page 286 est manquante sur certaines impressions du roman, vous la trouverez sur le site internet de Flammarion, accompagnée de leurs plus sincères excuses.
L’itinéraire : Alice Zeniter, L’art de perdre, Éditions Flammarion, 2017. 512 pages.