Avec trois naissances et deux langues, Maryam Madjidi fait vibrer les mots autour de ses origines, de ses abandons et renaissances. Dans Marx et la poupée, c’est une alliance complexe et non linéaire qu’offre l’auteure : au service d’une histoire sombre et vivante, métaphores, poèmes et journal « intime » prennent vie, comme pour rappeler que l’important n’est pas la route empruntée, mais le voyage en lui-même.
Au pays de : « Depuis le ventre de sa mère, Maryam vit de front les premières heures de la révolution iranienne. Six ans plus tard, elle rejoint avec sa mère son père en exil à Paris. À travers les souvenirs de ses premières années, Maryam raconte l’abandon du pays, l’éloignement de sa famille, la perte de ses jouets […], l’effacement progressif du persan au profit du français […] ».
La fragilité
Pour faire danser les souvenirs, la langue de l’exil a ceci de particulier qu’elle semble se mouvoir dans tous les recoins de l’existence. Bruyante, elle se cache, s’efface. C’est silencieuse qu’elle se donne à voir, transpirant par tous les pores de l’être. De cet être, l’exilé, celui qui ne sait que faire de son passé, encore présent, à laisser filer. De son présent qu’il ne maîtrise pas, pas plus que la langue qu’on apprend à l’école.
Maryam Madjidi témoigne de ce qu’est le déracinement. Elle conte cette cicatrice issue de l’enfouissement des souvenirs et des poupées et raconte la présence indélébile des absents, qui apparaissent au coin d’un banc parisien, tout Persans qu’ils sont. Elle témoigne du combat à mener et de ce qu’il faut laisser derrière. Elle témoigne des hontes et des fiertés, de ses parents qui s’éloignent faute de mots.
Fragile et multiforme, Marx et la poupée est là pour rappeler que l’Histoire est vivace et que l’exil est souffrance. Mais parce que l’intégration est paradoxe, puisque l’on t’intègre si tu t’effaces, ce roman l’est aussi, paradoxal : fragile, mais campé sur ses mots.
L’élégance
Authentique, sensible et grave, ce texte a l’élégance de la vérité. Ironique et honnête, Maryam Madjidi a du caractère.
Elle a
L’élégance de la femme qui séduit dans sa langue natale, et l’élégance de cette femme qui se lasse de séduire en poème d’Omar Kayyâm.
L’assurance de cette femme qui récite, et qui, en quelques mots, fait voyager ses amants. Elle a l’élégance ironique de celle qui se trompe de vers et qui est seule à le savoir.
Puissance, elle est celle qui sait.
Qui jongle et qui trouvera son équilibre en questionnant l’appartenance et en réconciliant
les deux parties d’elle-même.
Elle reviendra découvrir son pays. Fera pleurer ses lecteurs. Et conclura son roman en poème. Parce que Maryam Madjidi est une femme libre.
Ses mots le disent.
La phrase : « J’ai glissé sur mon identité. Je suis tombée. »
L’itinéraire : Maryam Madjidi, Marx et la poupée, Éditions Le nouvel Attila, 2017. 208 pages.
Aller plus loin : L’interview de Maryam Madjidi dans La Grande Librairie