Au pays de : « Quelque part entre la banlieue et la campagne, là où leurs parents ont eux-mêmes grandi, Jonas et ses amis tuent le temps. Ils fument, ils jouent aux cartes, ils font pousser de l’herbe dans le jardin et quand ils sortent, c’est pour constater ce qui les éloigne des autres. »
David Lopez donne à Jonas, son personnage principal, la capacité de boxer les mots avec le soin et la violence d’un homme qui n’a plus que ça. Poings hauts, jambes flexibles, gants mous, esquive et remise. Dire de Fief qu’il est un roman coup de poing serait vraiment trop simple et pourtant jamais mieux approprié.
La tête
Entrer dans le ring. Penser stratégie. Action et réaction. La création de Fief est une réflexion. La tête est sollicitée en premier. Une prouesse littéraire avant tout. Du rythme et des poings, à l’anglaise. La boxe de Jonas est danse et ses mots poésie.
Lire Fief, c’est penser aux mots. Admirer l’enchaînement et les chutes, rire des punchlines et découvrir ce style neuf, peut-être, en tout cas assez magique, où le cru n’existe que pour revendiquer la simplicité d’une vie, poser la pureté d’un esprit cassé.
David Lopez aborde l’histoire des territoires et de la langue. Tout fait sens et se mélange, le verlan et Candide, à l’image du « fondu prose / dialogue »* de l’auteur où la virgule est reine et maitresse des échanges.
La langue de l’auteur dépasse les frontières en hommage à ceux-là, Jonas, Ixe, Sucré et tous les autres, qui, en bordure de chemin, sur le trottoir des bars, à l’orée des vies, manient les mots comme on crie sa présence, parfois maladroitement, dans la pulsion de l’existence.
Le cœur
Fief, c’est la lumière qui sort des cœurs et des esprits. De ces enfants ado adultes qui, parce qu’ils ne savent absolument pas quoi faire de leur journée, bêchent un jardin. Font une dictée.
Il y a du cœur et de l’esprit chez Jonas, cet attachant boxeur, intelligent et sensible. Conscient de sa place, il regarde alors la vie et s’adapte à ce qu’elle veut de lui, quitte à ériger la passivité en discipline. Lucide, il reste debout, sachant pourtant que de ce côté du territoire, la volonté n’existe pas seule.
Jonas tourne autour du ring comme il tourne autour de sa vie, se bat parce qu’il le faut, mais point trop. Pourtant, à lire ses mots, il gagnerait bien des combats comme le cœur de Wanda.
La phrase : « Je regarde ce mec qui passe sa vie à dire qu’il veut en changer se braquer quand on le dit à sa place. »
Le tip : Toi même tu sais, t’as vu, vas-y !
L’itinéraire : David Lopez, Fief, Éditions du Seuil, 2017. 256 pages.
* Interview de David Lopez sur CultureBox