Dans le dernier épisode du podcast Le BookClub, Magali Lafourcade, magistrate, docteure en droit spécialisée des droits humains et secrétaire générale de la commission nationale consultative des droits de l’Homme, est interviewée. Elle partage sa sélection de 4 livres pour éclairer l’actualité contemporaine. Le premier livre est Dernière sommation, de David Dufresne. Je ne l’ai pas lu, mais ses mots m'interpellent tout particulièrement quand elle cite l’auteur lui-même citant l'archevêque de Recife, au Brésil (1909-1999), Dom Helder Camara :
« Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’Hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés.
La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première.
La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres.
Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. »
Dom Helder Camara est l’homme que je lis en ce moment. Le hasard n’existe pas.
Je pourrais m’arrêter à cette citation pour vous dire à quel point lire Dom Helder Camara, ses biographies ou les entretiens qu’il a pu accorder fait écho à l’actualité.
Ces lignes suffiraient pour affirmer que lire les mots d’un homme d’Église ou découvrir son chemin spirituel, sans être catholique, peut avoir un sens.
Poser ses yeux sur Dom Helder Camara, et ses pensées dans les siennes grâce à Dom Helder Camara, le chemin spirituel d’un prophète permet de découvrir l’homme autant que les défis contemporains de l’Église, voire du monde, et donc de l’Église dans le monde.
L’auteur, Ivanir Antonio Rampon, est docteur en théologie spirituelle.
Pourquoi le lire ?
Pour découvrir un prophète, veilleur, penseur et poète qui, il n’y a pas si longtemps, parcourait les pays pour délivrer un message, ou plutôt, une manière de lire le monde et d’espérer la justice et la vérité grâce à la religion.
Pour découvrir un homme qui prêche pour re-lier les fondamentaux de sa religion au présent et aux sociétés telles qu’elles ont évolué.
Lire Dom Helder Camara, le chemin spirituel d’un prophète, c’est plonger dans l’intime d’un veilleur, d’un poète et d’un prophète, d’un révolutionnaire, d’un pacificateur. Dans « l’actif et le contemplatif ».
C’est tenter de faire siens ses questionnements et s’ouvrir aux croyances profondes d’un Autre, frère humain.
Cette voix des « sans chance et des sans voix » — archevêque rouge pour certains, frère des pauvres, pour d’autres — n’a eu de cesse de chercher la vérité et la justice sur son chemin de foi. Ce livre, notamment sa seconde moitié en est le reflet, éclairant les sensibilités de l’homme, les valeurs de l’enfant de Dieu, et les combats de l’homme d’Église.
Qu’apprend-on ?
Les mots de Dom Helder Camara appellent et rappellent plus qu’apprennent.
Accompagner cet homme sur son chemin, le temps de quelques pages, permet probablement de se souvenir de…
Regarder le monde.
Réfléchir de nouveau, à la lumière d’autres pensées, d’autres yeux. À la lumière de méditations et de veillées, d’un autre mode de convaincre et d’agir.
Lire la foi autrement que par des clichés, parfois vrais, mais très souvent schématiques.
De se souvenir qu’il existe encore — qu’il existait encore au XXe siècle — des penseurs, des pacifistes contemporains (à ce sujet, son opinion sur « la violence des pacifiques » est aussi étonnante qu’éclairante) qui cherchent véritablement à aider les pauvres. Et qu’aider ce n’est pas faire pour et à la place de, mais bien aider à parler. La pédagogie, la conscientisation, transformer l’homme en être responsable, en sujet de sa propre vie : voilà ce en quoi croyait Dom Helder.
De se souvenir que le rôle de l’Église est de servir les pauvres. D’être au service de. Avec les pauvres. Et donc, que c’est en remettant les pauvres à la place qu’il leur est dû, en supprimant le pouvoir et l’autorité, les dorures et les gloires, que l’Église sera au service de la Justice, et donc de la Paix.
Le chemin de Dom Helder Camara nous rappelle qu’il est bon de remettre en cause, de dénoncer, de s’inquiéter, au risque de. Malgré l’écoute constante et amicale des papes — qui l’ont toujours accueilli avec plaisir, contrairement aux congrégations d’évêques et secrétaireries d’État —, Dom Helder Camara a été maintes fois dénoncé, calomnié, constamment redouté. Il n’a jamais cessé de croire.
Que comprendre ?
Certes, dans Dom Helder Camara, le chemin spirituel d’un prophète, certaines notions, certains évènements historiques et religieux ne résonneront sans doute pas en chacun (les conciles, les conférences épiscopales, etc.), mais comme le fait Dom Helder Camara, regardons au-delà, élevons-nous, prenons de la hauteur non pas pour mépriser, mais pour comprendre, pour voir plus clair.
Entrainons-nous à cultiver l’espérance. Souhaitons-nous d’avoir encore la naïveté de croire à un monde plus juste.
L’itinéraire : Ivanir Antonio Rampon Dom Helder Camara, Le chemin spirituel d’un prophète, Éditions Salvator, 2020 (traduit du brésilien par José de Broucker). 286 pages.
Le guide : Merci au traducteur, José de Broucker, de m’avoir proposé cette lecture.
Pour découvrir les écrits de Dom Helder Camara, entre autres :
Les nuits d’un prophète, Éditions du Cerf, Paris, 2005 ;
Mille raisons pour vivre, DDB, Paris, 2009 ;
Spirale de violence, DDB, Paris, 1970.
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