Au pays de : « Du 26 octobre 1977, lendemain de la mort de sa mère, au 15 septembre 1979, Roland Barthes a tenu un journal de deuil, 330 feuillets pour la plupart datés, et publiés pour la première fois en 2009. »
Journal de deuil, c’est le journal d’un deuil. La puissance de sa simplicité et la profondeur du dénuement qui s’en dégage le transforme, paradoxalement en un Journal universel, de la Vie.
Parce que les mots sont de Roland Barthes, j’aimerais penser que deuil ou non, tristesse ou non, perte et absence ou non, ce livre se range dans la pile des livres à avoir lu. Les mots sont sans artifices. Les phrases sont courtes. Ces « fiches » sont simples (quelques lignes).
Mais si vous êtes deuil, tristesse, perte, absence, alors ce livre se range dans la pile des livres à avoir vécu. Il est à vivre parce que vous vous y reconnaitrez dans ce que vous aurez déjà traversé. Vous entrerez alors dans un monde à découvrir et pourtant déjà passé. Vous serez confronté au déchirant paradoxe de la perte. Déjà au passé, elle est pourtant toujours présente.
« Ne pas dire Deuil. C’est trop psychanalytique. Je ne suis pas en deuil. J’ai du chagrin. »
Journal de deuil est le livre qui évoque le mieux la mort et l’après, parmi ceux que j’ai déjà pu découvrir (L’année de la pensée magique de Joan Didion dans un autre registre). Roland Barthes le dit le mieux parce qu’il n’a pas d’agenda. Il ne donne pas de conseils, il ne cherche pas non plus à narrativiser une expérience de vie, à revivre un traumatisme pour sonder la profondeur de sa propre psyché. Il ne s’agit pas non plus, pour lui, de transcender une douleur.
Il ne s’agit pas. Il n’est pas question de. Roland Barthes ne parle presque pas. Roland Barthes n’écrit presque pas. Il dit.
Les mots crèvent d’authenticité parce qu’ils ne cherchent rien d’autre qu’à formuler l’inexprimable. Qu’à soulager une nanoseconde ce qui ne se soulage pas. Qu’à trouver les mots pour dire l’amour, le manque, l’immense manque.
Les mots crèvent de vérité : rien de plus réel que quelqu’un qui écrit son chagrin. Et il n’existe rien de plus touchant que quelqu’un qui n’écrit pas pour être lu.
Roland Barthes a perdu sa mère dont il était excessivement proche. Mais c’est à tous que ses textes s’adressent. Roland Barthes dit, et en disant, il me parle. Plus précisément, ses textes me parlent. Ils me parlent en tant que sœur. Ils me parlent en tant que fille. Ils me touchent en tant qu’endeuillée.
Ils me parlent et m’ont allégée. Ils ont dit, à ma place, ce que j’ai pensé sans savoir dire.
C’est à tous que ses textes s’adressent. Ils sont d’utilité publique.
La phrase : « Au deuil intériorisé, il n’y a guère de signes.
C’est l’accomplissement de l’intériorité absolue. Toutes les sociétés sages, cependant, ont prescrit et codifié l’extériorisation du deuil.
Malaise de la nôtre en ce qu’elle nie le deuil. »
L’itinéraire : Roland Barthes, Journal de deuil, Éditions Points (Éditions du Seuil, 2009). 287 pages.
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